L’art de négocier

Entretien avec Tal Laury, expert en négociation et dirigeant du cabinet Accedia, spécialisé dans les formations à la négociation.

Comment bien préparer un « rendez‑vous labo » ?

Il s’agit d’un point majeur, la préparation étant souvent bâclée, et ce, dans tous les domaines où il est nécessaire de négocier. Face aux pharmaciens qui ne se donnent pas les moyens d’anticiper le rendez-vous, les délégués sont formés. Alors, comment faire ? Pour commencer, prenez le temps de récupérer toutes vos informations avant la négociation. Vous devez savoir où vous en êtes en termes de volumes et de niveau de remise. Toute information peut devenir cruciale, par exemple, vous devez également estimer combien d’argent vous avez perdu avec les ruptures, quelle est la largeur de gammes du laboratoire… Le plus souvent, ce sont les délégués qui maîtrisent ces informations, c’est un désavantage. Dans un second temps, préparez vos arguments. Le plus souvent, ceux-ci sont trop généralistes et pas assez étayés. Par exemple, au lieu de dire « Les ruptures nous ont fait beaucoup de mal », précisez ! Combien de ruptures ? Combien de temps cela a-t-il duré ? Et quelles ont été les conséquences financières pour votre officine ?

Combien de temps doit-on investir dans cette préparation ?

À mon sens, les négociations annuelles les plus cruciales concernent les génériqueurs et les grossistes-répartiteurs, ce qui représente moins d’une dizaine de grosses négociations par an. Pour chacune, je recommande un temps de préparation entre 15 minutes et 1 heure pour faire le point sur votre bilan et recueillir toute l’information nécessaire à la préparation de vos arguments. Au final, même si vous gagnez 1 % de remise, c’est déjà significatif. Je suis persuadé que le temps passé est largement amorti.

Qu’est-ce qu’un pharmacien peut proposer à son délégué ?

Par exemple, et afin d’aller plus loin dans la négociation, peut-être pouvez-vous proposer une exclusivité, un engagement sur une période courte comme un objectif trimestriel en plus d’un objectif annuel, engagez-vous à lui donner de la visibilité sur vos ventes. S’il s’agit de médicaments, discutez avec votre délégué des molécules prioritaires de son laboratoire, référencez de nouveaux produits. Certains ont un top 10, 30 ou 60. En vous engageant sur ces priorités, vous obtiendrez forcément une contrepartie, car cela les intéresse beaucoup, et je vous garantis que moins de 10 % des pharmaciens pensent à le faire.

N’y a-t-il que de l’argent en jeu ?

Il faut évidemment réfléchir à des paliers de remises pour ne pas donner immédiatement le maximum lors de la négociation. Mais, en effet, l’argent n’est pas le seul élément à mettre dans la balance, et le pharmacien doit aussi négocier le déploiement de services. Qu’il s’agisse de formations qualifiantes auprès d’écoles de commerce, de services digitaux, de merchandising, d’animations du point de vente… ces aspects sont souvent méconnus, mais peuvent vous apporter beaucoup en valeur. En gros, soyez créatifs et élargissez le gâteau pour mieux le partager.

Faut-il anticiper ses propres concessions ?

Qu’est-ce qu’un pharmacien peut proposer à son délégué ? Oui, et j’irai même plus loin : il faut préparer ses concessions et ses contreparties. La négociation est un jeu de réciprocité dans lequel il faut savoir imaginer des scénarios. Il faut définitivement sortir du « volume contre remises ». Avant votre rendez-vous, listez vos efforts, réfléchissez à ce que vous souhaiteriez obtenir.

Comment instaurer un climat de franchise dans la discussion ?

Les deux premières minutes de négociation sont capitales et donnent le ton de la suite des échanges. Si vous êtes tendu, suspicieux, cela vous pénalisera forcément. Souriez, regardez votre délégué dans les yeux, sans exagérer votre attitude. Avec le temps, au fur et à mesure des négociations, vous vous détendrez naturellement. Les pharmaciens ont raison d’être exigeants, mais certains ont un défaut de taille : ils ne respectent pas toujours les accords passés avec les délégués, et c’est ce qui pose le plus de soucis dans la relation entre industriels et officinaux, notamment pour les négociations futures. Céder aux sirènes d’un concurrent pour des ruptures, une promotion, ou une baisse de prix, sous prétexte qu’aucun contrat n’a été signé, n’est pas une bonne stratégie. On peut dire ce que l’on veut : les délégués respectent leurs engagements et n’ont aucune raison de vous mentir à l’issue du rendez-vous. Négliger ce rapport de confiance, c’est instaurer un mauvais climat avec les représentants des laboratoires. Finalement, une négociation réussie, c’est un marché conclu « gagnant gagnant ».

Quand faut‑il savoir « lâcher du lest » ?

C’est la définition même de la négociation. Vous pouvez bien sûr résister mais cela reste une défense et le moyen d’avoir de la visibilité. Vous devez savoir lâcher du lest quand vos objectifs sont atteints, et quand vous ressentez les limites de votre interlocuteur, surtout s’il semble agacé ou s’il vous répète qu’il « ne peut pas aller plus loin ». Il faut savoir être ferme mais pas fermé. Il faut savoir arrêter de dire non.

Et en aval, comment suivre les conclusions d’une négociation et anticiper la suite ?

Respecter les accords conclus est la clé : cela garantit la rentabilité de la négociation et instaure une relation de confiance avec le délégué. Apprenez à suivre vos ventes et à maîtriser vos données pour ne pas vous faire influencer par les délégués qui peuvent vous noyer sous leurs propres chiffres, et tout mélanger, notamment le remboursé et le non remboursé. Sans accuser personne de mentir, il faut reconnaître qu’il y a plusieurs façons de présenter les chiffres et c’est à vous de savoir les interpréter. Les pharmaciens doivent se constituer leur propre grille de lecture pour rester maîtres de leur produit. Un dernier point : appuyez-vous sur votre groupement si vous en avez un, ou sur les forums de la profession ! Qu’est-ce que les autres ont obtenu ? Jusqu’où pouvez-vous aller ? Récoltez des informations, analysez la concurrence grâce à vos outils de géomarketing : c’est là toute votre force. Vous êtes dans un secteur d’échanges importants. Une information clé peut faire gagner une négociation, il serait dommage de s’en priver.

L’argent n’est pas le seul élément à mettre dans la balance, et le pharmacien doit aussi négocier le déploiement de services.


Quelles sont les erreurs à ne pas commettre ?

  • Ne pas maîtriser ses propres chiffres.
  • Se laisser tenter par les promos des autres fournisseurs, surtout si vous travaillez en exclusivité avec un partenaire. « 10 % de remise en plus, ce n’est pas forcément une bonne affaire ! explique Tal Laury. À force du cumuls et d’objectifs atteints, rester chez votre numéro 1 est souvent préférable. Tout réside dans l’observation globale de votre sell-in et de votre sell-out pour optimiser votre marge. On ne peut pas gagner sur tous les tableaux. »
  • Accepter les propositions des laboratoires trop rapidement. « Il faut savoir résister ! La bonne proposition n’arrive jamais du premier coup », insiste Tal Laury. La négociation commence quand vous dites « non ».
  • Rester dans une démarche de « volume contre remises ».