Le choix du nom

Chaque année, des centaines de noms de médicament passent à la trappe. Traduction douteuse, publicité cachée... Trouver de nouveaux noms est un casse-tête. Pharma vous révèle tout sur les coulisses de la création des noms et ce qui devrait changer.

Trouver un nom n’est jamais chose facile. Avant de se décider, les futurs parents passent en revue tous les jeux de mots, allusion graveleuse et autre référence douteuse auxquels pourraient être exposée leur progéniture. Ils se demandent si le prénom lui ira bien, comment il sonne, ce qu’il évoquera dans 10 ans… Choisir un nom de médicament expose aux mêmes tourments. Laboratoire, service réglementaire et agences passent ainsi des heures à débattre, pour accoucher d’un nom qui, au mieux, marquera les esprits, au pire, tombera simplement dans l’oubli.

reportage1Jouer avec les lettres

Nurofen Rhume, Vogalib, Toplexil… Tous sont des noms de marque, des « noms de fantaisie ». Une fois la spécialité développée et le marketing produit posé, difficile parfois de trouver un nom fantaisiste dans les couloirs des affaires réglementaires. Bon nombre de laboratoires font donc appel à des agences de naming. Leur mission : créer des noms de marque, aussi bien pour un sirop contre la toux, qu’un produit bancaire, une voiture ou une nouvelle gamme de parfum. Dans leurs références se mêlent ainsi indistinctement solution buvable contre la diarrhée, yaourt au soja et noms d’émission télévisée. Moins connues que les agences de communication ou de publicité, celles de naming jouent un rôle clé dans le lancement d’un produit. Bénéfik, dirigée par Cyril Gaillard, est l’une d’entre elles. À son actif : la création du nom « Diastrolib » pour Teva ou encore « Naturactive » de Pierre Fabre. Pour les agences de naming, préfixe, suffixe et syllabes valent de l’or. « Les laboratoires nous précisent s’ils veulent par exemple des noms plutôt féminins, anglo-saxons, puissants ou avec deux syllabes. Et nous font bien sûr un topo sur le médicament », précise Cyril Gaillard. « Tussi » va évoquer la toux, « Calm », l’apaisement, « Dol », la douleur ou un simple X l’expertise scientifique. Le tout en y intégrant le nom de la molécule, du laboratoire ou une référence au mode d’administration. Et les exemples parlent d’eux-mêmes : pour Smectalia, « le nom capitalise sur la notoriété de la marque existante Smecta, tout en lui apportant une plus grande douceur », explique Énékia, l’agence de naming à l’origine du nom. Diane, Jasmine… pour les pilules contraceptives, les noms seront plus féminins, emprunteront des prénoms de femmes.

reportage2Se détacher des sciences pour plus de créativité

Chaque sonorité est censée évoquer immédiatement l’action thérapeutique du médicament. Sauf que toutes ces combinaisons de lettres ont été rongées jusqu’à l’os. Les évidences sont désormais à éviter. « Pour un sirop contre la toux, nous n’allons plus prendre « tussi » ou « tux », car c’est tellement évident que l’on sait que le nom ne sera pas disponible », indique Cyril Gaillard, qui précise aussi que : « le nom sera trop proche d’autres spécialités ». La liste de noms saturée, en trouver de nouveaux devient un vrai casse-tête. Une fois le cahier des charges établi, le brainstorming commence. Chez Bénéfik, chacun des 5 collaborateurs va alors dresser de son côté une liste de 100 à 150 noms. « Cela va assez vite en réalité ! », rassure le président de Bénéfik. Environ 500 noms au total, qui vont par la suite passer à la moulinette juridique. « Et nous présentons ensuite une vingtaine de noms au laboratoire, de manière stratégique, en contextualisant chaque proposition. » L’objectif : « trouver des noms décalés, plus originaux ou poétiques », insiste Cyril Gaillard. En tout cas, qui ne rappellent pas forcément la molécule ou son action thérapeutique. « Notre métier, c’est aussi d’expliquer au laboratoire qu’on ne peut pas tout dire dans un seul nom. » En 2016, l’agence a ainsi aidé à lancer la gamme contre le rhume OTC Belivair du laboratoire Thérabel. « Belivair pour passer un bel hiver ! », précise Cyril Gaillard, qui a pour cela travaillé main dans la main avec Servane Lion de Villers, directrice du marketing stratégique de Therabel. « Nous avons eu une cinquantaine de propositions », raconte cette dernière. Selon elle, trouver un nom reste un « challenge » du côté labo : « Pour mettre le plus de chances de son côté, une des choses dont il faut le plus se détacher est de vouloir un nom de marque descriptif ». Pas toujours évident lorsque l’on parle de santé, « où nous sommes pour la plupart de formation scientifique et donc nous recherchons à rationaliser le choix d’un nom de marque », confie-t-elle. Si le nom prend souvent part à la réussite commerciale, « il faut accepter qu’il ne dise pas tout, et que celui-ci soit complété par son univers graphique, son packaging… », ajoute Servane Lion de Villers.

reportage3Hypercon et extranase

Une fois la shortlist de noms établie, de minutieuses vérifications démarrent. D’abord phonétiques : est-ce que ce nom sonne comme une autre marque ? Puis réglementaires : est-ce que le nom pourrait être accepté par l’ANSM ? Ne sonne-t-il pas trop commercial ? S’il faut bien sûr éviter les insultes et les noms à consonance négative, la vérification doit également être faite dans d’autres langues et d’autres cultures. « Certains noms peuvent évoquer un politicien véreux dans un autre pays, explique Cyril Gaillard. DSK aurait très bien pu être un nom de médicament il y a 20 ans ! », sourit-il. Les réseaux sociaux sont également passés au peigne fin, car « imaginez que l’on se rende compte que le nom de notre médicament est aussi celui d’une call-girl un peu connue sur la Toile en Chine, par exemple ! ». Certaines erreurs sont rentrées dans les annales. En Allemagne, l’atomoxetine est commercialisée sous le nom Hypercon. Sans équivoque pour les Français… Entre la pilule Optimizette, l’anti-oedème Extranase ou l’antihypertenseur Teoula, les exemples cocasses ne manquent pas. En 2013, une entreprise bretonne avait lancé un détergent bio, Cyclone B, un peu trop proche du tristement célèbre Zyklon B, utilisé dans les chambres à gaz nazies. Le 4×4 de Mitsubishi Pajero signifie littéralement « se masturber » en espagnol. Oups… D’où l’importance du travail des sémiologues et des linguistes, capables de repérer toute erreur.

Que disent les futures réglementations de l’ANSM?

Finalement, Therabel aura retenu cinq noms, dont Belivair, et « trois noms ont été soumis lors de la demande d’AMM avec un ordre de préférence », raconte Servane Lion de Villers. Après deux mois de travail, et 10 000 à 20 000 euros, le nom de médicament est né. Un travail qui devrait être compliqué dans les années à venir par de nouvelles réglementations voulues par l’ANSM, pour mieux encadrer les noms, comme nous le confirme Cyril Gaillard : « l’ANSM a décidé de serrer la vis, et c’est normal, car certains laboratoires ont exagéré ». Il ajoute qu’ils ont voulu « capitaliser sur leurs noms de marque déjà connus en déclinant des noms très proches ». Les fameuses marques ombrelles (voir encadré), qui sèment souvent la confusion chez le patient. Seconde cible de l’ANSM : les noms trop commerciaux. Publicitaires presque. En mai dernier, trois noms de médicament sont ainsi passés à la trappe : Tussilix, Céliprane et Voxipur. Alors que les deux premiers ressemblaient trop à des noms de spécialité déjà disponibles, le Voxipur, lui, était trop commercial. La notion de « pureté » n’est pas tangible médicalement. Officiellement, rien n’a encore été publié de la part de l’agence du médicament. Mais, selon le projet de texte de réglementation, que nous avons pu consulter, les restrictions devraient être sévères. Par exemple, les mots tels que FORT, FAIBLE, PLUS, MOINS, ULTRA, VITE, HYPER, VITAL, FLASH, CONTROL, STOP, ANTI, BIO, etc., « ne doivent pas être utilisés, dans la mesure où ils sont susceptibles de véhiculer un message promotionnel relatif à l’utilisation du médicament », indique l’Agence dans le document. À cette liste d’interdiction s’ajoutent les anglicismes, « considérés comme promotionnels » par l’ANSM, les superlatifs, les chiffres ou lettres isolés, type X, ainsi que la mention de l’arôme, sauf dans certains cas exceptionnels « en vue d’une meilleure observance du traitement », précise toujours le document. Enfin, l’ANSM déconseille « fortement » l’utilisation de nom ou prénom, typique dans le cas des pilules contraceptives. Une petite révolution est donc à prévoir. Alors que les nouvelles réglementations ne sont pas encore finalisées, « les laboratoires en tiennent déjà compte », estime Servane Lion de Villers. Si elle évoque un objectif de santé publique, elle explique tout de même que « cela engendre évidemment davantage de contraintes pour trouver un nom de spécialité et nécessite de plus en plus de choisir un nom le moins descriptif possible ». En 2016, sur 400 nouvelles dénominations proposées à l’ANSM, 269 ont été rejetées, soit plus de la moitié. Un nombre qui pourrait bondir dans les prochaines années.

Le nom, un beau paquet cadeau

À l’avenir, il y a donc fort à parier que les laboratoires se tourneront vers des noms réellement fantaisistes, « qui ne voudront rien dire du tout. Ensuite, ils capitaliseront sur la communication et la caution du laboratoire auprès du consommateur », ajoute Cyril Gaillard. Certaines marques ont même déjà anticipé les restrictions concernant les allégations santé, en remplaçant par exemple « système immunitaire » par « force intérieure ». Si un nom de médicament totalement éloigné du sens premier du produit peut dérouter certains patients, de nombreuses marques ont, dans le passé, fondé leur notoriété sans nom descriptif. « Quand on entend les cinémas Pathé, on ne pense jamais au pâté. Pour Apple, on ne se pose même pas la question du rapport entre l’informatique et les pommes, souligne Cyril Gaillard. « Parfois, le nom incarne tellement la marque, qu’on oublie toutes ces connotations. » Et, finalement, si un produit ne marche pas, ce n’est jamais la faute de son nom. Comme nous l’assure Cyril Gaillard : « Le nom, c’est simplement un paquet cadeau ».


Haro sur les marques ombrelles !

Nurofen Flash, Gavisconell, Toplexil Phyto… Les marques ombrelles, qui regroupent sous des noms très proches, plusieurs spécialités, inquiètent l’ANSM. Elle se dit clairement « opposée à cette pratique à l’origine de confusions et d’erreurs d’utilisation ». À l’avenir, les laboratoires dépositaires devront donc démontrer que les nominations sont suffisamment différentes pour les patients. « Cela demande donc aux laboratoires d’être à la fois plus créatifs et plus exigeants pour réussir à commercialiser plusieurs spécialités dans une gamme, tout en ayant un effet de marque », réagit Servane Lion de Villers. Dernièrement, Toplexil Phyto a changé son nom pour Phytoxil, afin d’être plus distinct des références Toplexil, qui ont un principe actif totalement différent.
10 000 euros C’est le coût moyen d’un nom de médicament commandé à une agence de naming. Il peut doubler si le nom est également destiné au marché international.


reportage4Comment dit‑on doliprane ?

Une molécule, le paracétamol, mais plusieurs noms en fonction des pays, qui n’ont parfois rien à voir. Découvrez quelques exemples !

  • États-Unis ➜ Tylenol
  • Espagne ➜ Buscapina
  • Grèce ➜ Depon
  • Thaïlande ➜ Sara
  • Indonésie ➜ Pamol