L’officine réinventée : la gouvernance (1/2)

Réinventer le métier de pharmacien. Oui, mais comment ? Éléments de réponse avec l’œil de l’économiste Olivier Deletoille.

expert deletoilleLe modèle du pharmacien omniprésent, « homme à tout faire » et autocratique n’est plus en vogue parce qu’il n’est plus en adéquation avec les réalités sociétales, les attentes du marché et les aspirations des jeunes officinaux. Aussi, des pharmaciens « libérés » réinventent leur métier sous l’égide des préconisations d’une armée de prédicateurs, stratèges, économistes, sociologues, consultants et même philosophes. Grosso modo, ils tirent le portrait-robot idéal du pharmacien d’officine en mesure de s’adapter :

  • il abandonne des modèles,
  • plus qu’actif, il est proactif,
  • il scinde les questions stratégiques et tactiques,
  • il affine ses stratégies d’offres,
  • il « sacrifie » de la marge pour investir sur de nouveaux débouchés,
  • il est « connecté »,
  • il applique la vraie écologie (positive et non pas punitive) et surfe sur la quête de sens des consommateurs (par rapport à la montée en puissance de la mouvance des « objecteurs de consommation »),
  • il passe d’une communication « prix » à une communication « compétence »,
  • il travaille en réseau (échanges de « knowledge »),
  • il mise sur les ressources humaines,
  • il libère l’intelligence collective des équipes,
  • il inverse la pyramide ou l’organigramme hiérarchique,
  • il abandonne la relation dominant/dominé,
  • il développe son leadership (le manager donne l’« ordre de faire » alors que le leader donne « envie de faire ») autour d’un certain sens de l’éthique et de la spiritualité,
  • il dit « nous » plutôt que « je »,
  • il s’accorde et accorde le droit à l’erreur,
  • il invente le ré-enchantement et se libère du ressentiment,
  • il pense que « le savoirêtre » est plus important que « l’avoir »,
  • il est simple dans un monde compliqué,
  • il s’octroie des temps de confort,
  • il applique « les belles théories. »

Sachant que les systèmes optimaux n’existent pas et que personne n’est parfait, l’essentiel est de tendre vers l’amélioration de son comportement de dirigeant. Chacun, à sa mesure, met en œuvre des solutions en équation avec la réalité du moment et de sa personnalité. Donc, la difficulté ne consiste plus à savoir ce qu’il y a lieu de faire, mais bien plutôt de savoir comment faire et de faire. Sans entrer dans le catalogue des « best practices », trois suggestions, parmi d’autres, d’orientations opérationnelles et/ou stratégiques méritent d’être exposées à chaque pharmacien.

« L’absence de contre-pouvoir rend fou », Alain.

Première piste : s’assurer de l’existence de véritables contre-pouvoirs.

La plupart des échecs d’entreprise résultent d’erreurs stratégiques (comme Kodak qui n’a pas pris le virage du numérique). Certes ! En réalité, beaucoup d’entre elles disparaissent pour des problèmes de gouvernance. Ainsi, dans l’archéologie des affaires spéculaires, deux ont marqué l’histoire. D’abord celle d’Enron, et dans son sillage son cabinet d’audit Arthur Andersen, qui se sont effondrés suite à la défaillance de la gouvernance d’entreprise, sans contre-pouvoirs, avec des dirigeants à l’ego « surdimensionné », dépourvus d’éthique et spécialisés dans le maquillage des comptes. Ensuite, celle de Jean-Marie Messier avec la gestion de Vivendi. Il incarnait pourtant la réussite facile mais, en réalité, sa gestion délirante et non contrôlée a conduit au fiasco du groupe qu’il « pilotait ».

Les dirigeants de PME, dont les professionnels libéraux, sont exposés aux mêmes risques d’être bercés dans l’illusion et la certitude de leurs compétences. Aussi s’assureront-ils de l’existence de contre-pouvoirs. Ils les trouveront rarement auprès de leurs prestataires et fournisseurs habituels (banquiers, juristes, groupements, experts-comptables ou commissaires aux comptes), salariés, parfois associés, ou encore moins dans leur entourage proche (conjoint).

Il doit s’agir de personnes déconnectées des enjeux de l’entité et sans liens affectifs et de dépendance financière trop étroits. Cela peut être un club de chefs d’entreprise, un comité informel de surveillance, un parrain, un associé investisseur ou certains, mais très rares, consultants.

La mise en œuvre d’une gouvernance garantira ainsi un processus durable de création de valeurs dans l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes internes et externes et en respectant l’éthique.

Deuxième piste : abandonner les signes ostentatoires du pouvoir

Le leader abandonnera les artifices du pouvoir tels que le bureau individuel, le parking réservé, les passe-droits… Expressions matérielles de modèles hiérarchiques et autoritaires dépassés. Il s’agit bien de rester au contact des réalités, de renforcer la communication et d’accompagner vraiment les équipes dans la conduite des changements. Cette attitude pratique, menée avec vérité, apporte des résultats étonnants.

Troisième piste : le regroupement et l’association pour élargir les offres

Le pharmacien avait les moyens financiers d’exercer seul et d’assumer un certain nombre d’erreurs acceptables. Il pouvait même critiquer les associations inopérantes (mais celles qui fonctionnent bien ne font pas parler d’elles, comme « les trains qui arrivent à l’heure »). La complexité de son environnement l’oblige à visiter des voies structurantes de regroupement et d’association avec des confrères locaux implantés sur sa zone de chalandise, notamment. Les concurrents apparents d’hier sont les partenaires potentiels d’aujourd’hui. Cette évolution devrait conduire à un élargissement de l’offre, qu’un pharmacien seul ne peut assumer. Ainsi, c’est toujours l’offre qui stimule la demande. Plus l’offre est forte, plus la demande se développe et donc plus le marché est en croissance. L’offre est appréhendée selon un double angle :

  1. celui du positionnement prix/produit, services, conseils et relations. Sachant qu’en matière de services (exemple : la livraison à domicile, le parking, l’ouverture décalée, la réservation à distance, le balisage, la disponibilité, les délais de livraison ou de réalisation, un site marchand clair…), le champ « des possibles », avec les nouvelles technologies et les objets connectés notamment, est énorme ;
  2. l’angle métier et ses spécialités techniques adaptées aux patients de 1 jour à 120 ans : dépistage, observance, diabète, MAD, PDA, interprofessionnalité, automédication, entretiens thérapeutiques, matériel médical, orthopédie, sport, huiles essentielles… En définitive, il s’agit d’abandonner un peu d’indépendance apparente du « professionnel libéral », en conservant ses valeurs, au profit d’organisations aux performances meilleures, conciliant l’augmentation de l’offre de compétences avec une nécessaire préservation de la rentabilité.

En définitive, il s’agit d’abandonner un peu d’indépendance apparente du « professionnel libéral », en conservant ses valeurs, au
profit d’organisations aux performances meilleures, conciliant l’augmentation de l’offre de compétences avec une nécessaire préservation de la rentabilité.