Roger Salamon « Il n’existe que peu de structures comme la nôtre en Europe »

Le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP) fête cette année ses 10 ans. L’occasion de revenir avec son président, Roger Salamon, sur une décennie de prises de position sanitaires originales.

Pharma. Vous êtes le président du HCSP depuis sa création. Comment faites-vous pour être toujours indépendant après tant d’années ? 

Roger Salamon : Pour être totalement indépendants du politique, nous sommes tous bénévoles. Et ce qui nous motive, c’est être utile à la santé publique et aider la population. Cela montre que l’on peut être motivé par autre chose que par l’argent ! Le HCSP est saisi majoritairement par le ministère de la Santé ou de l’Environnement, pour émettre un avis indépendant sur la gestion des risques sanitaires.

En quoi vous différenciez-vous des autres agences de santé ? 

Notre rôle est totalement différent de celui d’une agence, comme l’ANSM ou l’ANSES. Elles vont évaluer quel risque a, par exemple, un vaccin ou un médicament. C’est une activité très lourde. À l’HCSP, nous répondons à la réponse : que faire face au risque ? Nous ne faisons donc pas de l’évaluation du risque, mais de la gestion du risque. Contrairement à l’évaluation qui est très technique, la gestion des risques prend en compte des éléments beaucoup plus larges dans sa réflexion, comme la demande sociale par exemple.

Quelle relation entretenez-vous avec le ministère de la Santé ? 

Lorsqu’une question de santé publique est posée, un ministre a plusieurs choix. Soit il n’a besoin de personne et décide tout seul, soit il va demander conseil à un proche, un conseiller, soit il veut avoir un véritable avis d’expert indépendant. Dans ce cas, il se tourne vers nous. Il n’existe que peu de structures comme la nôtre en Europe. Et nous sommes très sollicités par d’autres pays, qui veulent voir comment nous travaillons ou qui s’inspirent de nos recommandations.

Quelles sont concrètement les missions de l’HCSP ? 

La plupart du temps, nous répondons à des saisines du ministère. C’est souvent très urgent, et il faut rendre un avis rapidement. Les sujets peuvent être très variés, mais globalement, les questionnements sont surtout autour des maladies infectieuses et de l’environnement. Ensuite, notre deuxième mission est d’évaluer l’impact des grands plans de santé, comme le plan de lutte contre la résistance aux antibiotiques, le plan cancer ou encore le plan maladies rares. Enfin, on peut également s’autosaisir ! Si personne ne nous a demandé notre avis sur un sujet que l’on trouve important, nous rendons quand même notre propre rapport. Cela traduit vraiment toute notre liberté.

Quels travaux vous ont marqué lors de votre mandat ? 

Nous avons rendu des positions très marquantes, notamment sur la cigarette électronique ou la vaccination (voir encadré). Sur la vaccination, nous avons soulevé un lièvre en posant, enfin, la question de la pertinence des vaccinations obligatoires et recommandées. Cette prise de position a d’ailleurs poussé la ministre de la Santé, Marisol Touraine, à faire une concertation citoyenne sur la vaccination, dont les premiers résultats ont été rendus il y a quelques semaines. Par ailleurs, nous avons aussi réalisé des recommandations sur le virus Zika ou Ebola, qui ont déclenché des réactions très rapides.

Dans les faits, vos recommandations sont-elles réellement mises en application ? 

Quand on donne un avis, on espère qu’il sera tenu ! Ce qui est sûr, c’est que ces rapports font de plus en plus autorité. Nous sommes donc à peu près certains que l’on suivra notre avis.

 Quel rôle le pharmacien peut-il jouer dans cette gestion du risque sanitaire ? 

Le pharmacien a un rôle très utile pour nous. Son rôle de surveillance et d’alerte est crucial. Et si pour l’instant peu de choses sont faites, ce n’est pas de sa faute. Je ne crois pas aux lanceurs d’alerte citoyens, qui lancent de fausses alertes sur tout et n’importe quoi. Mais par contre, je crois que les professionnels de santé ont un rôle à jouer, comme les médecins et les pharmaciens. Il faudrait vraiment mettre en place un réseau de professionnels avec des pharmaciens sur ces questions d’alerte, pour les médicaments par exemple, mais pas seulement.

Les pharmaciens joueraient-ils le jeu selon vous ?

Les médecins et les pharmaciens peuvent déjà se présenter à nous, mais ils ne le font pas du tout. L’avantage du pharmacien, c’est qu’il est organisé, structuré. En tout cas, plus que le médecin, à mon sens. Il a également le souci de faire reconnaître son importance dans la santé publique, alors que les médecins, finalement, n’ont plus rien à prouver… Donc je pense qu’il y a une motivation et une organisation qui rend les pharmaciens très prioritaires au niveau de la santé publique. C’est quelque chose qu’il faudrait vraiment réfléchir avec eux. Les pharmaciens pourraient jouer un rôle important en santé publique.

Allez-vous vous présenter pour un troisième mandat ?

Non, je ne postulerai pas, il faut bien laisser la place ! Pour la suite, j’espère que le travail du HCSP va continuer dans ce sens. Lors du premier mandat, nous inventions, c’était un peu brouillon, mais le deuxième était super, et j’espère que ça continuera sur la même lancée.

Propos recueillis par Léa Galanopoulo


“Sur la vaccination, nous avons soulevé un lièvre en posant, enfin, la question de la pertinence des vaccinations obligatoires et recommandées. »

 

Zoom sur la vaccination : un avis à contre-courant

En septembre 2014, le HCSP s’est Prononcé en faveur de l’extension de L’obligation vaccinale. Une position Etonnante, face aux critiques Grandissantes contre cette obligation. Pour le Haut Conseil de la Santé Publique, la différence entre vaccins obligatoires et recommandés jette le flou dans l’esprit des patients et laisse croire que certains vaccins sont moins efficaces que d’autres. Pour remédier à la baisse de la couverture vaccinale française, le HCSP a donc décidé de prendre le problème à l’envers en recommandant l’élargissement de l’obligation vaccinale, au vaccin ROR notamment. Un seul objectif pour le Haut Conseil : simplifier l’accès à la vaccination. « Le dispositif public de vaccination actuel est complexe, illisible et inégalitaire », juge-t-il dans le rapport. Pour y remédier, il préconise par ailleurs de rendre gratuits ces vaccins.