« Il est impératif de se spécialiser »

La présidente de l’association dédiée à la certification qualité des pharmacies plaide en faveur de la spécialisation nécessaire de l’officine.

Pharma. Pharma Système Qualité a organisé son colloque annuel le 12 mai dernier. Quelles en étaient les thématiques ?

Hélène Marvillet. Ce colloque portait deux aspirations : appréhender le futur du pharmacien et comprendre les nouvelles
attentes du patient-consommateur. Pour le premier volet, nous avons articulé le colloque autour de deux tables rondes : « Pharmacie d’officine et premier recours » et « Qualité et pharmacie d’officine, du premier recours à la conciliation médicamenteuse, vers un nouveau modèle économique ». Comment accompagner le patient en sortie hospitalière ? Quel rôle le pharmacien peut-il jouer dans la conciliation médicamenteuse ? Le pharmacien a-t-il une connaissance approfondie des traitements ? Les formations sont-elles suffisantes ?
Ces tables rondes avaient comme ambition d’apporter des réponses concrètes aux questions que se posent les pharmaciens et de replacer le pharmacien dans son contexte professionnel, qui va du premier recours à la pathologie lourde, en passant par la maladie chronique. Au cours de ce colloque, ont également été présentées et commentées les conclusions d’une grande enquête nationale sur la perception de la qualité de service dans les pharmacies certifiées et les attentes des consommateurs.

Quels sont les principaux enseignements de cette enquête nationale ?
L’enquête a fait ressortir plusieurs points. Tout d’abord, et je m’en félicite, la pharmacie est plébiscitée par les patients-clients. 98 % des patients interrogés se déclarent satisfaits de la qualité de l’information et des conseils dispensés par leurs pharmaciens. Les conditions d’accueil (accessibilité, qualité du premier contact…) rencontrent également l’adhésion de plus de 98 % des personnes sondées. Si l’étude révèle quelques points de vigilance comme la confidentialité, le temps d’attente ou la disponibilité des médicaments, avec 94 % de satisfaction globale, on peut affirmer sans rougir que les missions de premier recours du pharmacien sont parfaitement reconnues et appréciées par les clients. C’est d’ailleurs chez les patients âgés que le taux de satisfaction est le plus élevé. Faut-il y voir l’illustration d’une « bienveillance » croissante avec l’âge ou des difficultés à appréhender les attentes d’une patientèle plus jeune ? La question reste ouverte.

Vous évoquez la qualité de service. La multiplication des services à l’officine implique la question de la rémunération. Les patients français sont-ils prêts à payer ces services ?
L’étude nous permet aujourd’hui de l’affirmer : le patient français est prêt à rémunérer le pharmacien pour de nouvelles prestations. C’est une évolution culturelle de fond. On quitte progressivement une culture de prise en charge des soins pour des services pharmaceutiques à forte valeur ajoutée, mais payants. Qu’il s’agisse des tests de dépistage, de l’optique ou de la vaccination, les Français veulent désormais de nouvelles prestations délivrées par le pharmacien d’officine.

Nous passons donc d’une culture de prise en charge des soins et des médicaments (gratuité des soins) vers une culture servicielle payante ?
C’est un mouvement inéluctable. Le déficit de la Sécurité sociale est de 11 milliards d’euros. La société ne peut plus prendre en charge à la fois le petit risque et les pathologies lourdes. Le retour à un équilibre budgétaire passe nécessairement par la fin du tout remboursable et l’instauration progressive de services payants. Prenons exemple sur nos voisins européens. Les pharmaciens vaccinent en Suisse, renouvellent les ordonnances en Angleterre, réalisent des entretiens d’accompagnement de nouvelle médication en Belgique… La pharmacie est entrée dans une nouvelle ère, celle de la spécialisation.
La rémunération de services à valeur ajoutée, qui vont permettre de désengorger les cabinets médicaux tout en repositionnant le pharmacien comme un professionnel de santé de premier recours, s’installe progressivement.

Sur les 22 000 pharmacies, seules 1,6 % déclarent avoir une activité de vente en ligne. Pourquoi ce retard par rapport au reste de l’Europe ?
On ne peut pas accuser les pharmaciens d’être rétrogrades. 99 % des pharmacies ont le DP, toutes les pharmacies sont informatisées… Ils vont se mettre au e-commerce. C’est juste une question de temps. N’oublions pas que les contraintes réglementaires sont très fortes en France, contrairement à d’autres pays européens. D’ailleurs, je tiens à féliciter le travail pédagogique des groupements qui a permis une première prise de conscience digitale. Le e-commerce reste un levier de croissance pour la pharmacie d’officine, mais il faut des infrastructures conséquentes pour soutenir cette activité.
Comme le mentionnait lors du colloque Olivier Babeau, économiste de la santé, « le pharmacien est amené à devenir l’interface entre des services de santé connectée dont le développement est inéluctable et des consommateurs de plus en plus demandeurs d’un accompagnement personnalisé, humanisé et de proximité. »

Avec le vieillissement de la population et les aspirations des patients à rester chez eux, le MAD va devenir un secteur porteur pour les libéraux. Pharma Système Qualité prévoit-elle un référentiel pour les activités hors les murs ?
Créée en 2010 pour accompagner les officinaux dans leur démarche de certification qualité, l’association Pharma Système Qualité n’a cessé de s’adapter pour accompagner l’évolution du métier et coller aux attentes des pharmaciens. Nous prévoyons des ajustements au référentiel, notamment au niveau de la PDA pour les Ehpad. Les pharmaciens qui font de la PDA bénéficient désormais d’un référentiel de qualité. Il y aura l’intégration de nouveaux paramètres permettant d’optimiser la sortie hospitalière, la chronicité… Dans un contexte réglementaire de plus en plus exigeant, notre objectif est de proposer une prestation de qualité élevée afin de sécuriser au maximum l’acte pharmaceutique.

À quand un référentiel de qualité pour l’interprofessionnalité ?
Vous touchez là un sujet qui me préoccupe. Il faut formaliser les pratiques interprofessionnelles pour optimiser la prise en charge des patients au sein des réseaux de soins. Le temps du chacun pour soi est révolu. Nous militons auprès des ARS pour l’élaboration de protocoles communs afin d’améliorer la coordination des soins. Il y a urgence à mettre en oeuvre une méthodologie de qualité pour les professionnels de santé libéraux.

Vos recommandations pour moderniser la pharmacie d’officine ont été reprises par la commission santé de la fondation Concorde. Quelle est la suite du projet de la fondation Concorde ?
Nous sommes partis d’un constat : la modernisation de l’officine doit obligatoirement passer par une évolution du cadre
réglementaire qui rendra viable son modèle économique. Cette évolution doit s’accompagner d’une démarche de certification qualité pour l’ensemble des officinaux. Recueil des données de santé, dématérialisation de la délivrance, vaccination, gestion de la sortie hospitalière… Nos propositions n’ont rien de révolutionnaire, elles nourriront un livre blanc de la fondation Concorde sur le système de santé. Ces propositions traduisent la nécessité de changer de modèle d’exercice pour répondre aux nouveaux défis de santé publique.