Sandrine Hurel « La vaccination en officine n’est pas encore mûre pour la France »

En attendant le débat national sur la vaccination, Sandrine Hurel, députée PS de Seine-Maritime, doit remettre au premier ministre son rapport sur la politique vaccinale en France. Entretien exclusif.

Pharma. Le Premier ministre vous a confié en février dernier une mission concernant la politique vaccinale en France. Quelles en étaient les principales composantes ?

Sandrine Hurel. Plusieurs impératifs figurent dans ma lettre de mission. Le premier consiste à analyser le principe de l’obligation vaccinale existant en France et à émettre des propositions concrètes pour envisager son évolution. Il m’appartient également d’analyser les différents freins à la vaccination des Français : économiques, pratiques, culturels… et encore une fois de faire des propositions pour les lever. À moyen terme, le but est de relancer l’adhésion des Français envers la vaccination.

Par rapport à nos voisins européens, la couverture vaccinale est-elle si critique en France ?

Les taux de vaccination contre l’hépatite B ou le ROR sont moins bons en France, comparés à certains de nos voisins. Mais il ne faut pas noircir artificiellement le tableau. En réalité, tout dépend du type de vaccin. Pour les vaccinations obligatoires (DTP chez les enfants) ainsi que pour la coqueluche (recommandée), la France est l’un des pays européens possédant les meilleures couvertures vaccinales, ce qui prouve au passage l’efficacité de l’obligation vaccinale. Très logiquement, les infections ainsi visées connaissent des développements différenciés en Europe : en France, la rougeole connaît une recrudescence dans l’est, tandis qu’en Espagne, un cas de diphtérie a récemment été diagnostiqué. En matière de vaccination, il n’y a pas de hasard.

Le scepticisme vaccinal est-il une spécificité française ?

Pas du tout. Et ce n’est pas non plus une spécificité liée à notre époque. Au temps de Pasteur et Calmette, des ligues se constituaient déjà, alors que l’on éradiquait la variole. Autre exemple, chacun en France connaît les inquiétudes relatives au vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques. Outre-Manche, c’est le ROR qui est accusé de provoquer…
l’autisme ! Après un très gros scandale médiatique, la polémique est finalement retombée. Le problème est que, même scientifiquement démenties, ces rumeurs installent un doute latent dont il est difficile de se défaire.

N’y a-t-il pas une posture de privilégiés à critiquer les bienfaits des vaccins dans des pays riches où, globalement, la population est à l’abri des graves maladies infectieuses ?

Le terme de privilégiés est sans doute excessif. Mais il est certain que nos régions développées ont perdu la mémoire des maladies à prévention vaccinale. Même les médecins ne sont plus en mesure de détecter du premier coup une diphtérie, une polio ou une rougeole. Cette mémoire oubliée nous conduit à nous croire au-dessus de tout risque infectieux.
Pourtant, il est important de rappeler que seule la variole a été définitivement éradiquée. Les autres sont toujours susceptibles de réapparaître en cas de relâchement des comportements vaccinaux. Je rappelle qu’un enfant non vacciné est mort de la diphtérie en Espagne cet été.

Dans un rapport du 10 septembre dernier, le Haut conseil de la santé publique (HCSP) critiquait une politique vaccinale « illisible, complexe et inégalitaire ». Comment insuffler plus de transparence et de clarté ?

Ce que l’avis du HCSP dénonce, à juste titre, c’est la persistance d’un régime vaccinal dual non adapté, qui entretient une confusion dans la population. Le fait qu’aujourd’hui, seul le DTP est obligatoire pour les enfants laisse à penser que les autres vaccins simplement recommandés seraient moins importants, voire facultatifs ou de confort, alors que médicalement, la nécessité de se prémunir contre la diphtérie ou la rougeole reste la même. La dichotomie entre les obligations et les recommandations ne provient pas de critères scientifiques mais de l’histoire, décousue, des politiques vaccinales en France. Il est donc primordial de dépasser ce statu quo intenable, qui entretient des différenciations artificielles et injustifiées entre les vaccins les plus importants, et de refonder notre régime d’obligation et de recommandation vaccinales. Mon rapport proposera par conséquent plusieurs scenarii correspondant à autant de choix de société.

Pourquoi les obligations ne concernent-elles que les enfants et pas les rappels des adultes ?

Là encore, cela relève de l’histoire. Cela est également lié à l’entrée en collectivité qui a lieu pendant l’enfance : chaque enfant se doit d’être immunisé pour concourir à l’immunisation collective de l’école ou de la crèche. Mais encore une fois, si cette obligation ne concerne légalement que le DTP, la logique de protection est la même pour la rougeole, la rubéole ou la tuberculose…

Ne faudrait-il pas rendre obligatoire l’ensemble des vaccins ?

Je pense que personne ne peut sérieusement défendre ce point de vue. Tous les vaccins ne jouissent pas du même degré de pertinence et d’efficacité. Il existe un grand nombre de vaccins dont l’utilité n’est que ponctuelle. Pensez par exemple aux vaccins contre les maladies exotiques, qui ne sont justifiées qu’en cas de certains voyages. Si l’on réduit le prisme aux vaccins bénéficiant d’une recommandation dans le calendrier vaccinal (beaucoup moins nombreux, dont l’efficacité est pleinement avérée et le bénéfice-risque très largement positif), alors la question peut légitimement être posée. Cela correspond à un point de vue qui se défend, avec ses avantages et ses contraintes. Mais une telle décision ne peut pas être prise par une seule personne, fut-elle députée. Elle doit résulter d’un débat public éclairé et d’une qualité irréprochable.

Fiasco de la campagne de vaccination contre la grippe A (H1N1), polémique autour des vaccins contre les papillomavirus, remise en cause de l’efficacité du vaccin antigrippal… De nombreuses controverses agitent la vaccination en France. Comment y remédier ?

Ces controverses n’ont pas les mêmes origines mais elles concourent à la même défiance, ce qui les rend plus difficiles à combattre. L’absence de réponse claire et largement diffusée met en lumière une des grandes lacunes de notre politique vaccinale : nous ne disposons pas d’une entité officielle unanimement reconnue et légitime pour nous exprimer publiquement sur les vaccins. À chaque polémique, plusieurs voix s’élèvent, se contredisent et brouillent le message au lieu de l’éclairer. Il faut donc qu’émerge cette entité sous l’autorité de l’État. Elle devra répondre de manière générale sur la vaccination, sans bien sûr renoncer à désamorcer chaque début de polémique. Il faut toujours plus de pédagogie et de transparence.

Comment rassurer les hésitants ?

Outre cet effort de pédagogie, en faisant de la transparence un impératif et en ne niant pas les controverses et les doutes qui entourent les vaccins, comme tous produits de santé. Oui, ces derniers ne sont pas anodins, ils peuvent provoquer des effets secondaires importants chez certaines personnes. Non, le risque zéro n’existe pas. En revanche, les notions de bénéfice-risque individuel et de protection collective sont trop peu avancées. Il faut les expliquer.

Quel peut être le rôle des professionnels de santé pour endiguer cette défiance et sensibiliser le grand public aux bénéfices des vaccins ?

Leur rôle est plus qu’essentiel. 90 % des vaccinations ont lieu dans les cabinets des généralistes, médecins traitants. Ce sont eux qui doivent répondre aux questions des patients inquiets ou simplement en demande d’informations. Mais pour cela, il est nécessaire que ces derniers soient mieux accompagnés pour mieux se sentir concernés. Le taux de couverture vaccinale chez les professionnels de santé est encore trop bas, ce qui atteste, non pas de leur manque de confiance dans les vaccins, mais de la relative faiblesse de cet enjeu dans leur quotidien professionnel. Celui-ci doit être réactivé. Gageons que la « crise de confiance » que nous connaissons ces derniers mois contribuera à les remobiliser sur cet enjeu, mais je crois surtout qu’ils sont en attente d’un discours et d’actes forts en leur direction de la part du pouvoir politique et des autorités sanitaires. Il faut absolument leur fournir les outils pédagogiques leur permettant de répondre aux polémiques et leur démontrer que leur rôle est indispensable dans ce combat de tous les jours. L’implication des professionnels de santé, et plus particulièrement des médecins généralistes, est déterminante dans l’adhésion des Français à la vaccination.

Un temps pressenti pour réaliser les vaccins au sein de leurs officines, les pharmaciens se sont vus retirer cette mission lors du vote de la loi de santé à l’Assemblée nationale. Votre rapport prévoit-il un retour du pharmacien sur le devant de la scène vaccinale ?

Je pense que cela verra le jour à plus ou moins long terme, mais qu’en l’état actuel des débats, la  vaccination en officine n’apparaît pas mûre pour  la France. Il ne s’agit pas de dire que les pharmaciens ne seraient pas capables de s’adapter à cette évolution, mais plutôt qu’un tel dispositif n’apparaît pas pertinent dans un contexte où la défiance s’est installée. Pour mener une politique de santé efficace, je crois qu’il faut avant tout commencer par remobiliser les médecins, s’assurer du bon approvisionnement en vaccins et regagner la confiance des patients. Ensuite seulement, nous pourrons envisager des mesures pour fluidifier les parcours vaccinaux. De plus, pour être pleinement efficace, cette mesure doit être soutenue par une proportion significative de la profession. Il semble que pour l’heure, ce large soutien soit à relativiser. Des expérimentations vont être menées. Attendons leurs conclusions pour rouvrir ce dossier.

Le Canada, les États-Unis, l’Irlande, le Portugal ou encore le Royaume-Uni ont adopté la vaccination par le pharmacien sur prescription médicale et/ou protocole. Les résultats sont partout positifs en termes de satisfaction des bénéficiaires, de taux de couverture, de libération de temps médical et infirmier… Pourquoi ces réticences en France ?

Il est vrai que les résultats de ces pays semblent concluants. Toutefois, on peut difficilement plaquer la solution d’un pays sur un autre. Le Royaume-Uni notamment et les États-Unis ont des systèmes de santé bien différents du nôtre et surtout des comportements individuels face à la vaccination qui ne sont pas les mêmes.

Si oui, préconisez-vous une rémunération de cet acte ?

Cette mission n’a pas pour but de répondre à la question de la vaccination dans les officines. Il ne m’appartient donc pas d’être plus explicite.

Que faire contre les lanceurs d’alerte (Pr Henri Joyeux) et les lobbys antivaccins (Ligue nationale pour la liberté de vaccination, Association Liberté Information Santé)… ?

La première chose à faire serait probablement de ne pas « galvauder le titre de lanceurs d’alertes » et d’avoir envers eux un recul critique plutôt que de se contenter de compter le nombre de signatures qu’ils recueillent. Prenant appui sur quelques arguments recevables, extrapolés à outrance, ils affirment des contre-vérités scientifiques et économiques que le grand public n’a évidemment pas les moyens de percevoir. C’est là qu’une parole officielle, reconnue et légitime, a son rôle à jouer.
Bien sûr, il est impossible de répondre à chaque fois qu’une information trompeuse est prononcée sur les vaccins, d’autant qu’Internet a démultiplié ce genre de propos. Mais il nous faut cependant passer d’une quasi-absence de réponse à l’organisation d’une stratégie de communication cohérente, audible et lisible pour les Français. C’est là qu’intervient cette entité officielle capable de s’exprimer rapidement et clairement et que j’appelle de mes vœux.

Propos recueillis par Olivier Valcke

98 % C’est la proportion d’enfants vaccinés à 1 an en France par le DTPCoq.

89 % C’est la proportion d’enfants vaccinés à 2 ans en France contre le ROR (rougeole, oreillons, rubéole).

Source : Leem 2015