Cyril Tétart « N’ayons pas peur de l’omnicanalité ! »

Malgré le scepticisme ambiant, le président de l’association française des pharmacies en ligne (AFPEL), consacre la vente de médicaments en ligne comme une alternative à fort potentiel.

Pharma. Vous avez pris la direction de l’Afpel en juin dernier. Quelles en sont les missions principales ?

Cyril Tétart. L’association a été créée par Philippe Lailler, titulaire de la pharmacie de la Grâce de Dieu, à Caen, en septembre 2013. Elle regroupait la plupart des pharmacies pionnières de la vente en ligne. Pris par ses activités politiques, Philippe Lailler n’avait plus le temps de s’occuper de cette structure qui vivotait. J’ai donc repris les rênes de l’association en juin 2015, avec pour objectif de communiquer plus fréquemment sur nos actions. Les missions initiales de l’Afpel sont toujours d’actualité. Il s’agit d’accompagner le développement de la vente en ligne de médicaments et, plus généralement, de tous les produits dispensés en pharmacie d’officine. L’association se veut également un lanceur d’alerte auprès des autorités européennes, des autorités nationales et des syndicats professionnels sur toutes les questions liées de près ou de loin à la vente en ligne. Enfin, notre vocation est de formuler des propositions concrètes pour développer l’e-commerce en pharmacie et de lever les fantasmes qui entourent cette activité.

Vous parlez de fantasme. Selon une enquête de l’Ifop réalisée en 2013*, seuls 4 % des Français ont acheté des médicaments sur Internet. Comment comptez-vous vaincre cette défiance des patients français à l’égard des médicaments achetés en ligne ?

Au-delà de la défiance, j’évoquerai une maturité de marché. En France, la vente de médicaments en ligne est relativement récente. Nous n’avons pas la même maturité que les Belges, les Allemands ou les Hollandais. Le marché français de la vente en ligne de médicaments avoisine les 20 millions d’euros ; il est de 400 millions d’euros en Allemagne. Cette maturité ne se fera que par et grâce à la communication.

Des grandes plateformes comme 1001Pharmacies, Doctipharma ou Newpharma ont-elles vocation à rejoindre l’association ?

Surtout pas ! Même si nous avons déjà été approchés à plusieurs reprises par 1001Pharmacies, Pharmarket et Doctipharma, nous n’avons pas la même philosophie. L’Afpel défend l’activité
du pharmacien avant tout. L’association considère la vente en ligne comme un levier de croissance, un marché alternatif porteur d’opportunités commerciales pour le pharmacien, mais complémentaire de la vente au comptoir.
Les trois plateformes que je viens de citer ont une démarche exclusivement « business ». Ces trois-là mènent des actions de lobbying auprès des députés pour casser le monopole et s’arroger le droit de vendre directement des médicaments depuis leurs plateformes. À l’instar d’un Amazon, leur intérêt est de récupérer les flux de données et de les monétiser. À l’Afpel, nous ne sommes pas dans cette optique-là.
L’idée n’est pas de faire du chiffre à tout prix, mais bien de développer une activité complémentaire. Vendre à un patient une trentaine de boîtes de Nurofen serait une hérésie. Le pharmacien doit contrôler sa dispensation en ligne, mettre en garde contre les interactions, prévenir les patients des mésusages du médicament. Exactement comme au comptoir ! Il doit rester aux commandes de l’e-commerce. L’Afpel est éthique : elle suit la réglementation en vigueur. La pharmacie en ligne doit rester adossée à une pharmacie physique. Le but de l’association est d’informer les patients sur la possibilité d’acheter leurs médicaments sur Internet en toute sécurité. Tous les officinaux doivent travailler ensemble pour éviter que la dispensation de médicaments parte en grande distribution, chez les pure players ou sur les plateformes.

La vente de médicaments en ligne est-elle un remède anticrise pour la pharmacie française ?

Ce n’est pas la vente de médicaments en ligne qui sauvera la pharmacie française, mais l’omnicanalité. Par omnicanalité, j’entends l’association cohérente et pertinente du canal physique et du canal digital. L’omnicanalité permettra à la pharmacie d’officine de se réinventer et de résister aux baisses de prix, à l’érosion de la marge.
L’omnicanalité, c’est la liberté d’acheter ce que je veux, où je veux, quand je veux. La vente au comptoir n’est pas morte, mais elle doit se nourrir du digital. La vente en ligne est un nouveau canal de dispensation des produits. C’est surtout une mécanique à appréhender. Il faut repenser l’organisation en interne, la gestion du stock, la logistique, la relation client… Aujourd’hui, la question n’est plus de se demander s’il faut ou non se mettre à l’omnicanalité, mais comment la développer à l’officine.

Vous militez pour un distinguo au niveau réglementaire entre la pharmacie physique et la pharmacie en ligne…

Le ministère de la Santé ou le Conseil national de l’Ordre des pharmaciens ont du mal à saisir la différence entre la vente en ligne et la vente au comptoir de médicaments. Pour l’e-commerce, il faut une logistique plus conséquente, des entrepôts plus grands pour stocker les produits de santé destinés à la vente en ligne, des zones de rangement, des salariés entièrement dédiés à cette activité, des outils informatiques performants… On ne peut pas légiférer sur la vente de médicaments en ligne comme on légifère avec la vente au comptoir.
Je prends souvent l’exemple du pharmacien supplémentaire tous les 1,3 million d’euros de chiffre d’affaires. Imaginons que, demain, ma pharmacie en ligne fasse 30 millions d’euros de chiffre d’affaires, dont plus de 15 millions d’euros uniquement sur la parapharmacie. D’après la réglementation en vigueur, il me faudrait embaucher plus de 10 adjoints. C’est absurde !
L’autre exemple concerne le volet logistique, avec l’entrepôt qui doit être à proximité de la pharmacie physique. Un de mes confrères, gérant de Pharmanco.com et titulaire d’une pharmacie dans le 17e arrondissement de Paris, commence à être débordé au niveau du stock des produits.
Pourquoi ne pas prévoir des entrepôts déportés qui lui permettraient d’optimiser son activité de vente à distance ? L’Afpel milite pour que la réglementation intègre cette notion d’entrepôt déporté.

Qu’en est-il de la surveillance des produits dispensés en ligne ?

Aujourd’hui, la dispensation en ligne de produits de santé doit se faire sous la surveillance d’un pharmacien. À titre personnel, j’ai un adjoint – et bientôt un deuxième – et deux préparateurs qui vérifient toutes les commandes et les bloquent si besoin. C’est un élément que je ne conteste pas. Qu’il faille, en revanche, engager des titulaires de diplôme de pharmacien pour biper les médicaments et les mettre dans les cartons, je trouve cela un peu excessif : tout le monde peut lire ou scanner un code-barre.

Vous contestez également l’obligation d’avoir un hébergeur agréé…

L’arrêté de bonnes pratiques précise effectivement que « l’hébergement des données de santé à caractère personnel ne peut se faire qu’auprès d’hébergeurs agréés par le ministre de la Santé ». Cela n’engage que moi, mais j’ai l’intime conviction que l’hébergeur agréé ne sert à rien. Ce n’est qu’une couche supplémentaire du – déjà bien chargé – mille-feuille réglementaire français. Au niveau de la sécurisation des données, nous avons des outils très performants qui ne sont pas agréés, mais avec des niveaux de sécurité inégalés.

La contrainte réglementaire est-elle un frein au développement de la vente de médicaments en ligne en France ?

Il faut une harmonisation européenne. Les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous, quel que soit le pays dans lequel vous exercez. Comment peut-on encore prétendre aujourd’hui que la pharmacie française est une profession dynamique, alors que notre réglementation date de 1945 ? Il est impensable, aberrant même, que des grands noms de l’e-pharmacie européens puissent communiquer sur leur image, leur offre ou leurs prix, alors qu’en France, cela nous est interdit. Ce retard est pénalisant pour l’ensemble des pharmaciens qui souhaitent diversifier leur activité.

Vous avez récemment porté plainte contre Shop-pharmacie.fr, un site hollandais, pour violation des règles de publicité, ainsi que contre des entreprises (Laredoute.fr ou Showroomprive.com) qui diffusaient des tracts publicitaires. N’y a-t-il pas un paradoxe à demander davantage de moyens pour communiquer et traîner en justice ceux qui en abusent ?

L’Afpel les attaque, car, encore une fois, il n’est pas normal qu’il y ait deux poids, deux mesures en Europe sur les questions de publicité, de communication et de stratégie marketing. Si eux ont le droit de communiquer, alors nous aussi ! Et nous ne les attaquons que sur des éléments de droit. Ainsi, sur ses publicités en ligne comme sur ses flyers, Shop- pharmacie.fr a inscrit « médicaments » et non pas « médicaments non soumis à prescription ». Or, en Europe, il est interdit de promouvoir la vente en ligne de médicaments.
Le deuxième point, c’est le nom de domaine : « Shop-pharmacie.fr ». Si ce site est enregistré en « .fr », alors il doit avoir un numéro d’agrément ; et ce n’est pas le cas. Comme ni les syndicats ni l’Ordre ne les attaquent, on fait le job. C’est plus facile pour l’Ordre de s’attaquer à nous, e-pharmacies en ligne et structures de taille modeste, que de poursuivre en justice des mastodontes de la vente en ligne qui opèrent de l’étranger.

Leclerc a annoncé le lancement prochain de son site de parapharmacie. Faut-il craindre cette nouvelle concurrence ?

Concernant la vente de médicaments en ligne, il y a plus à craindre d’un Amazon que d’un Leclerc. Leclerc a beau s’époumoner pour vendre des médicaments dans ses centres commerciaux, lancer des sites de parapharmacie, communiquer à tout va, je ne pense pas qu’il représente une grande menace. Les moyens financiers et logistiques sont une chose, le référencement en est une autre. Je vois mal Leclerc prendre la place des acteurs historiques de la vente en ligne, qui jouissent d’un bon référencement.