Grégoire Moutel « Redonner confiance aux médicaments, c’est rétablir des règles éthiques »

Le Codeem a été mandaté par le Leem pour mener une vaste étude sur l’image et la réputation des industriels du médicament. Son président revient sur les missions de cet organe de veille déontologique.

Pharma. Patrick Errard, président du Leem, a annoncé lors de ses vœux à la presse, la mobilisation du Comité de déontovigilance du Leem (Codeem) sur la réputation des entreprises du médicament « pour construire la confiance, l’engagement et la motivation au service des patients ». Pouvez-vous nous en donner les grands axes ?

Grégoire Moutel. Patrick Errard nous a effectivement mandatés pour construire une méthodologie collective permettant de mieux cerner les déterminants de l’image et de la réputation des entreprises du médicament. La difficulté avec la notion d’image, c’est qu’elle renvoie trop souvent à la communication, avec un risque d’apparaître comme superficielle, sans travail sur le fond des pratiques. Or, et je l’ai précisé au président du Leem, le Codeem n’a pas vocation à être un communicant des entreprises du médicament, il a pour mission d’aider à promouvoir les bonnes pratiques et des règles de fonctionnement exemplaires. Travailler uniquement sur l’image, serait, à mon sens, une totale ineptie.
L’opinion publique, les patients, mais également les adhérents du Leem attendent plus qu’un simple lifting. La réputation des entreprises du médicament sera reconnue à sa juste valeur dès lors que ces dernières pourront se faire entendre clairement sur des valeurs partagées par tous, sur la grande qualité des services qu’elles rendent à la société et aux patients et sur des pratiques irréprochables. Le Codeem va donc initier une vaste concertation qui réunira un certain nombre de personnalités de l’univers pharmaceutique, mais également des intervenants extérieurs pour identifier freins et axes d’amélioration. Un vaste chantier qui, je l’espère, donnera ses premiers résultats d’ici la fin de l’année. S’il est beaucoup trop tôt pour livrer des éléments de contenu, quelques priorités ont déjà été ciblées. La première concerne la relation entre les professionnels de santé et les industriels du médicament. Saluons ici les progrès accomplis, mais ne baissons pas la garde. Un comportement déviant, une nouvelle affaire… et c’est l’ensemble des acteurs qui est incriminé.
D’autres dossiers s’inscrivent dans une visée davantage prospective. Je citerai ici les partenariats entre associations de patients et industriels. Promotion de la santé, éducation thérapeutique, représentation des droits des usagers… les collaborations entre industriels et associations de patients sont indispensables, mais nécessitent d’être mieux structurées. Trop de suspicions planent encore sur ces partenariats. À titre d’exemple, il y a peut-être nécessité à s’interroger sur la corrélation entre les sommes allouées et les travaux réalisés. Nous évoquerons également les régulations autour de la e-santé et plus spécifiquement la question des dispositifs médicaux connectés. Nous continuerons également les chantiers initiés en 2015 sur les liens d’intérêts, la gestion des conflits ou encore le respect des règles déontologiques par les industriels du médicament.

Lancé en 2011, le Codeem reste relativement discret pour ne pas dire totalement absent des médias. Pourquoi ce choix ?

Je suis plutôt partisan d’un rapprochement avec les médias à condition d’apporter une information pertinente. Communiquer pour communiquer, ce n’est pas le credo du Codeem. Réagir dans l’urgence s’avère également néfaste pour défendre nos prises de position. Le Codeem entre dans une phase de concertation. Une fois cette concertation achevée, nous rendrons publics nos travaux. Plusieurs propositions et recommandations y seront détaillées et auront vocation à être relayées.

Pour revenir à une actualité plus récente, on peut s’étonner de l’absence de prise de position du Codeem après les dramatiques essais cliniques de Rennes…

À chaque fois qu’une question éthique ou déontologique est soulevée, le Codeem a toute la légitimité pour intervenir. Cela peut concerner un dysfonctionnement manifeste dans la réalisation d’essais cliniques, la mise en danger d’autrui, le non-respect des règles de sécurité… Dans le cas des essais cliniques de Rennes, il faut rappeler que le laboratoire mis en cause est portugais et à ce titre, n’est pas adhérent au Leem, structure qui regroupe les entreprises du secteur de l’industrie pharmaceutique en France. De par ses statuts, les missions du Codeem concernent exclusivement les adhérents du Leem.

On a l’impression que le Codeem est plus un organe consultatif avec des recommandations qu’une structure décisionnaire…

C’est une interrogation légitime. J’entends beaucoup de gens dire que nous ne traitons pas assez de dossiers de litige ou de dossiers donnant lieu à des sanctions de tel ou tel. Pour mieux appréhender le fonctionnement du Codeem, il faut revenir à sa création en 2011. Il s’agissait de créer une structure capable de veiller au respect de la déontologie professionnelle avec la possibilité de sanctionner, mais aussi, et c’est essentiel, d’élaborer des recommandations d’amélioration des pratiques professionnelles, d’alerter sur des dysfonctionnements collectifs ou de se faire le médiateur de litiges entre des adhérents et d’autres acteurs de la chaîne du médicament (professionnels de santé, associations de patients…). Pour résumer, le Codeem remplit certes une fonction de gendarme (et la peur du gendarme aujourd’hui fonctionne), mais il doit aussi mener des analyses, des réflexions et faire des propositions sur l’éthique des comportements. Et de ce point de vue, son bilan est riche et continue à s’enrichir sur les différents sujets qu’il traite. Il agit enfin en organe de conseil, auprès des entreprises qui le sollicitent.

En 2014, le Codeem a été saisi pour deux médiations avec les entreprises du médicament. Pourquoi si peu ? Les industriels n’ont-ils pas encore pris le réflexe de consulter le Codeem ?

 Le Codeem a évolué dans son fonctionnement. J’évoquais précédemment la peur du gendarme, il y a une autre crainte, corollaire, de la faible remontée des dysfonctionnements. Beaucoup de nos adhérents craignent qu’en saisissant la section des litiges et sanctions, ils passent à tort pour des délateurs. En France, le dépôt de plainte s’inscrit dans une démarche judiciaire. Lorsqu’il se fait hors de ce contexte, cela passe pour de la délation. On voit donc poindre une nouvelle approche plus axée autour du conseil, de l’accompagnement, de l’amélioration des pratiques que de la saisie pour plainte. Le Codeem s’est doté par la force des choses d’une vertu pédagogique. C’est d’ailleurs dans cet esprit que nous avons lancé en 2014 un outil de e-learning sur les dispositions déontologiques professionnelles.

Qui peut saisir le Codeem ?

Statutairement, le Codeem est très ouvert. Il peut être saisi par les instances du Leem, par une entreprise adhérente, ainsi que par les associations de patients, les syndicats représentatifs des professionnels de santé, les autorités sanitaires ou de régulation et les structures ordinales. Il faut croire qu’il est de notre ressort de mieux communiquer sur cette possibilité qui est offerte aux structures externes au Leem car, jusqu’à présent, aucun dossier ne nous est parvenu.

À titre individuel, un professionnel de santé et notamment un pharmacien peut-il saisir le Codeem ?

Pour des raisons pragmatiques, il est logistiquement impossible aujourd’hui de recueillir les doléances de professionnels de santé individuellement. Un pharmacien pour nous saisir peut se rapprocher des organisations professionnelles qui le représentent, habilitées à faire remonter un litige ou un contentieux et à saisir le Codeem. Il peut également s’agir d’un groupe de professionnels qui porte une demande collective et qui doit passer par un organe représentatif de la profession (syndicat ou ordre) pour soumettre le dossier au Codeem.

En 2015, la section des litiges et des sanctions du Codeem a-t-elle été souvent mobilisée ? Si oui, à quelle fréquence ?

Le nombre de dossiers reste relativement stable mais plus orienté vers la commission de déontologie. En 2015, nous avons eu quatre dossiers conséquents. Certains rencontraient un dysfonctionnement en interne qu’il fallait solutionner au plus vite, d’autres des problématiques plus complexes. Le groupe GSK, quant à lui, a eu une démarche proactive positive ; il est venu nous présenter son nouveau mode d’organisation de symposium médicaux en marge des congrès et notamment, son intention de ne plus rémunérer les médecins pour leurs actions de promotion de ses médicaments lors de ces manifestations. Une expérience intéressante qui pourrait à terme bénéficier à l’ensemble du secteur. Ce sera également l’objet de nos travaux en 2016. Par ailleurs, de plus en plus d’entreprises nous sollicitent pour des conseils. Elles ne cherchent pas simplement à parfaire leur image, mais à améliorer durablement les comportements en interne. Le curseur s’est déplacé de la sanction à l’accompagnement pédagogique.

L’exclusion des laboratoires Genopharm1 en 2012 a-t-elle créé un électrochoc au sein des industriels adhérents du Leem ?

Je ne sais pas si l’exclusion de ce laboratoire a eu un impact direct sur les entreprises du secteur pharmaceutique, mais une chose est sûre, nous assistons ces dernières années à la mise en place d’un cercle vertueux qui concerne les pratiques professionnelles de l’ensemble des acteurs du système de santé (industriels, professionnels de santé, patients, autorités de régulation et décideurs politiques). Après mes prises de fonction en 2014, j’ai été étonné de trouver un milieu professionnel exceptionnellement régulé. À ma connaissance aujourd’hui en France, on ne peut trouver un secteur aussi responsable et encadré que l’industrie pharmaceutique. Charge à nous, Codeem, instance de déontovigilance du Leem, d’effectuer le travail pédagogique nécessaire pour les salariés qui évoluent dans ces entreprises.

Restaurer la confiance auprès des patients. Est-ce un vœu pieux ?

La question du juste positionnement du médicament dans le parcours de soins fait débat depuis longtemps et les dernières affaires (Mediator, prothèses PIP…) n’ont pas aidé à restaurer la confiance des usagers. Le paradoxe, c’est que le grand public ne fait pas le lien entre tout ce dont il dispose en termes de progrès thérapeutiques, d’amélioration de la prise en charge du patient et l’industrie du médicament qui est à la source de tout cela. Les études d’opinion le montrent. Il y a une très bonne confiance dans les médicaments que l’on prend, mais paradoxalement cette confiance s’étiole lorsqu’on évoque les volets industrie, fabrication ou investissement. Les Français occultent complètement la place majeure de l’industrie dans l’amélioration de la santé des personnes.

Propos recueillis par Olivier Valcke

Bio express

  • Président du Codeem (Comité de déontovigilance des entreprises du médicament en France) depuis le 14 octobre 2014
  • Membre du Comité d’éthique de l’Inserm et ancien membre du Comité de déontologie de l’INCa.
  • Médecin endocrinologue, praticien hospitalier et maître de conférences des universités.
  • Membre de l’équipe de recherche MOS (Management des organisations de santé), conjointement entre l’Université Paris Descartes et l’EHESP (École des hautes études en santé publique) Paris-Rennes au sein du pôle de recherche et d’enseignement supérieur Sorbonne Paris Cité.
  • Responsable de l’Unité de médecine sociale de l’hôpital Corentin Celton HEGP.

 


  1. En 2011, les laboratoires Genopharm avaient été condamnés pour falsification des dates de péremption de leurs anticancéreux, dans le but de les maintenir sur le marché le plus longtemps possible. L’ex-ANSM, l’Afssaps, avait entamé le retrait de lots de plusieurs spécialités exploitées par les laboratoires. En 2012, ils ont démissionné du Leem.