Établir un plan prévisionnel de trésorerie

Le début d’année est toujours propice à l’élaboration d’un budget prévisionnel afin de bien piloter son officine, d’autant plus dans un contexte économique difficile. En voici les règles de base.

Qu’est-ce que c’est ?

« Un plan prévisionnel de trésorerie, c’est tout simplement ce que le pharmacien prévoit comme entrées et sorties d’argent dans son activité, répond Philippe Becker, expert-comptable, directeur du département Pharmacie de Fiducial. En d’autres termes, c’est l’appréciation des flux de trésorerie. Toute la difficulté est de prévoir les dépenses et les achats. Le rythme des dépenses liées au loyer, aux salaires ou aux échéances des fournisseurs par exemple est assez facilement cerné sur un mois ou une année : tous ces décaissements sont liés à des dates. En revanche, le volet recettes est plus difficile à appréhender car il peut être impacté par les variations saisonnières, les jours fériés, l’arrivée d’un nouveau concurrent, etc. En général, on s’appuie sur les deux années précédentes ».

Pourquoi en établir un ?

Le budget prévisionnel constitue une étape indispensable dans le développement d’une entreprise. C’est le reflet de sa santé financière, la feuille de route à suivre tout au long de l’année. In fine, l’objectif est de vérifier la viabilité, la performance et la rentabilité de l’officine à partir de chiffres réels et projetés.

– Le plan prévisionnel de trésorerie est impératif lors de l’acquisition d’une officine ou de parts de société. « C’est le premier document à produire en cas d’achat, confirme Jean-Christophe Chanjou, directeur d’Achats de pharmacie. Nous avons changé de logique : nous sommes passés d’une approche ‘‘immobilière’’, qui privilégie le moyen terme, à une approche ‘‘entrepreneuriale’’, qui met l’accent sur la viabilité à court terme. La trésorerie est aujourd’hui un critère objectif qui détermine la viabilité d’un projet d’acquisition, autrement dit la capacité à payer les fournisseurs. Or, de nombreuses officines souffrent aujourd’hui de difficultés de trésorerie. Le pharmacien n’étant pas un financier, il a tout intérêt à s’assurer dès le départ que le projet permettra de dégager de la trésorerie au-delà des trois premières années. Les flux nets de trésorerie permettent de le vérifier. Ils sont le seul moyen pour l’acquéreur de prendre sa décision et de mesurer ses marges de manœuvre de manière directe et autonome ».

Pour argumenter sa démonstration, Jean-Christophe Chanjou use d’une métaphore : « Comparons l’acquisition d’une officine à une course transatlantique en solitaire et la trésorerie aux vivres nécessaires durant la traversée. Employer comme indicateur le pourcentage du chiffre d’affaires reviendrait à partir sans savoir si les vivres permettent d’aller au bout de la traversée : c’est une référence historique devenue obsolète. Se servir du multiple d’excédent brut d’exploitation (EBE), c’est s’assurer du nombre de conteneurs pour une personne ‘‘standard’’ et une traversée ‘‘standard’’ sans pour autant être sûr que ce nombre est adapté au cas particulier du navigateur et qu’il y a des réserves en cas d’imprévu. Avec les flux nets de trésorerie, on est certain que la quantité de vivres est adaptée à la traversée et que le niveau de réserves de sécurité est garanti pour pouvoir gérer les impondérables. Ils sont les seuls capables d’agréger toutes les natures de flux ».

– Le plan prévisionnel de trésorerie est également utile pour financer un bien ou un équipement, ou encore investir (dans un réagencement par exemple) sans moyens d’autofinancement.

– C’est aussi un outil clé dans la gestion de la relation avec les partenaires. « Compte tenu du fait que les trésoreries sont de plus en plus tendues dans les officines, il peut être produit à la demande du banquier afin de déterminer les éventuels montants de découvert autorisés, explique Philippe Becker. C’est un moyen pour lui de se rassurer ».
Il peut également permettre de négocier des délais de paiement à quarante-cinq jours avec les fournisseurs. « À l’inverse, si le pharmacien a de la trésorerie devant lui, il peut raccourcir ces délais et, en contrepartie, demander des remises, indique Jean-Christophe Chanjou. C’est ce que l’on appelle de l’escompte ». « C’est vrai pour les grossistes, qui sont très engagés auprès des pharmaciens et participent au maintien de la trésorerie de l’officine, mais les autres fournisseurs sont moins compréhensifs », tempère Emmanuel Leroy, responsable du réseau Pharmacie chez KPMG Île-de-France/Centre.

– Il est enfin devenu obligatoire dans toutes les procédures collectives, quelle que soit leur gradation, de la moins agressive (la procédure de sauvegarde) à la plus agressive (le redressement judiciaire), jusqu’à la liquidation. « Les tribunaux et les administrateurs en demandent des trimestriels », précise Philippe Becker.

À quel rythme le faire ?

Le plan prévisionnel de trésorerie est généralement établi sur une année. Mais le budget « estimé » étant « prévisionnel », il peut être amené à évoluer. « Lorsque la situation est tendue, il est recommandé de l’établir sur trois ou six mois, approuve Philippe Becker. Plus la période est courte, plus il sera précis ».
C’est aussi ce que préconise Emmanuel Leroy : « Le plan prévisionnel de trésorerie est un document quasi permanent, souligne-t-il. Il s’agit non seulement de s’assurer que la trésorerie va rester positive, mais aussi de mettre en place les outils nécessaires, comme les autorisations de découvert, pour anticiper un manque de recettes temporaire, et montrer ainsi qu’on est un chef d’entreprise ».
Le plan prévisionnel de trésorerie n’est pas tout à fait un tableau de bord. « Une officine peut avoir une exploitation excédentaire, mais une trésorerie qui se dégrade ou qui dort, quand le titulaire augmente ses stocks par exemple, poursuit Emmanuel Leroy. D’où l’utilité de le réactualiser chaque mois ».

Quelles sont les règles à respecter ?

« Il faut être précis, exhaustif et réaliste », résume Philippe Becker. « Il faut disposer de l’ensemble des informations, et savoir estimer pour l’année à venir son chiffre d’affaires, sa marge et ses charges, conseille pour sa part Emmanuel Leroy. Certaines charges peuvent diminuer, ou des crédits-bails arriver à échéance : il faut le prendre en compte ». Bref, l’idée n’est pas de réaliser un budget avec des chiffres vaguement estimés, mais de travailler à partir de données sérieusement calculées et rigoureusement vérifiées.

Un véritable outil d’aide à la décision

C’est vrai lors d’une acquisition, mais pas seulement. « C’est un document qui permet d’apprécier à l’avance les ‘‘creux’’ et les ‘‘bosses’’ de l’activité, rappelle Philippe Becker. Il est donc particulièrement utile pour prendre certaines décisions, comme demander des autorisations de découvert à sa banque ou reporter des dépenses prévues. Sa construction, informatique, est relativement simple, mais son appréciation, beaucoup plus complexe. Idéalement, il faut s’appuyer sur les conseils d’un expert-comptable qui, lui, voit le poisson alors que le poisson ne sait pas qu’il est dans le bocal… Ce qui nous permet de faire passer certains messages, voire de soulever le problème de la survie de l’entreprise ».

« Si la situation ne se rétablit pas, le plan prévisionnel de trésorerie permet au titulaire de prendre d’autres dispositions dans la gestion de son officine et dans ses méthodes de management, ajoute Emmanuel Leroy. Il peut notamment s’interroger sur le montant de ses dépenses, l’adaptation de sa masse salariale ou la structure juridique de son entreprise. Il peut aussi renégocier ou réétaler son emprunt, réfléchir à sa rémunération et aux économies réalisables sur les frais généraux, revoir ses méthodes de financement, travailler sur sa marge. En l’espèce, il n’est jamais inutile de réétudier sa politique d’achats, de vérifier les remises consenties par les fournisseurs, de repenser le niveau de son stock, de réadapter son offre en supprimant les gammes qui rapportent le moins. La rentabilité au mètre linéaire demande un travail considérable, mais qui peut être largement payant. En revanche, je ne recommande pas le licenciement d’un ou plusieurs collaborateurs : c’est sans doute la façon la plus simple de réduire les charges, mais il ne faut pas oublier qu’il faut des bras pour réaliser un chiffre d’affaires ! »

Au final, le budget prévisionnel est l’un des outils les plus importants pour les dirigeants d’entreprise. En le contrôlant mensuellement, ils peuvent vérifier qu’ils sont en accord avec leurs prévisions et leur stratégie. S’ils se rendent compte que leur chiffre d’affaires ne décolle pas, ils choisiront de suspendre ou de supprimer certains investissements ; a contrario, si leurs rentrées d’argent sont supérieures à leurs attentes, ils pourront récompenser leurs collaborateurs en leur attribuant des primes exceptionnelles.

Comme le conclut Emmanuel Leroy, « on peut toujours naviguer à l’aveugle, jusqu’au moment où l’on heurte un rocher ». Décidément, le plan prévisionnel de trésorerie est adapté à la métaphore maritime…

Plan prévisionnel, un budget « évolutif »

Évolution du marché, amélioration ou dégradation de la conjoncture économique, changement de fournisseur, travaux, taxes supplémentaires, baisse ou augmentation de la masse salariale… Par nature, un budget prévisionnel est un budget « estimé ». Il sera donc amené à fluctuer en fonction de différents paramètres. La réalisation d’un plan prévisionnel consiste donc dans un premier temps à recenser, identifier et hiérarchiser vos dépenses et recettes, puis à effectuer au fil de l’eau des ajustements pour atteindre l’équilibre ou la marge espérée.